Freddie Gibbs – $oul $old $eparately (Warner Records, 2022)

Freddie Gibbs a beaucoup de choses. Rappeur, Comédien dans un futur film romantico dramatique et comique à ses heures dans des vidéos promotionnelles hilarantes, mais il n’est certainement pas pressé. $oul $old $eparately, cette phrase prononcé a la fin de sa seconde collaboration avec Madlib, Bandana, aura pris le temps pour se concrétiser en un disque enfin arrivé dans nos oreilles. Teasé sur les réseaux sociaux depuis le début de l’année, sinon l’an dernier, ce nouvel album a failli disparaître dans les flots de hype autour des sorties de Pusha T, Vince Staples ou Kendrick Lamar, raison la plus logique pour laquelle Gangsta Gibbs a surement mis de côté son disque au lieu de la parachuté en plein boxon.

Un tel disque risquait-il vraiment d’être ignoré? A notre époque, rien n’est moins sûr vu le nombre de rappeur dont le succès se limite à leur petit coin des Etats-Unis, sans compter le nombre toujours effrayant de victimes d’un système judiciaire raciste (voir les accusations ridicules dont sont victimes Gunna et Young Thug), de rivalité entre gang (Drakeo The Ruler), d’un système de santé défaillant (Stepa J. Grogs, Fred the Godson) et de la facilité à se procurer une arme à feu. Que Freddie Gibbs soit encore parmi relève déjà de l’exploit mais ce disque a bien plus que le mérite de ne pas être une œuvre posthume. 

Isolé du contexte actuel, $oul $old $eparately existe dans une dimension parallèle avec des transitions ou une voix féminine d’un hôtel de luxe place l’enregistrement du disque dans un hôtel paye par un label dont le patron au bord des nerfs ne supporte pas l’idée de devoir payer la note d’un rappeur déjà en retard sur son planning de sortie. Une largesse dont les majors ne se permettent sûrement plus depuis des années. Quant à Gibbs, il incarne ici à la perfection son rôle de rappeur/crooner cocaïne et menace toujours quiconque de rivaliser avec la fluidité dont est capable son flow à chaque instant.

Les invités comptent parmi les collaborateurs fidèles et rivaux dans le monde de la cocaïne rap comme Rick Ross et Pusha T ou Anderson Paak, tous déjà entendus en sa compagnie sur Pinata ou Alfredo. Quant aux producteurs, il fait se rencontrer sur ce même disque des favoris du rap d’intello comme Alchemist et Madlib et des musiciens plus connus dans le monde de la pop comme Harmony Samuels et réunit ainsi les deux facettes de sa carrière en un même disque. Sans se compromettre, il crée habilement un pont entre le gangster menaçant de Evil Seeds Grow Naturally et le patron plus apaisé de Pinata pour aboutir à un nouveau Gibbs, un sourire accueillant au visage, sans l’ombre d’un beef , romantique et paternel (Grandma’s stove) comme jamais.

Une transformation capable de vous faire croire aux affirmations du rappeur quant au nombre de hits volés dont il parlait dans un teaser comique sorti avant la sortie du disque. Freddie Gibbs a-t-il toujours été aussi suave et capable d’enchaîner autant de hits potentiels? $oul $old $eparately arrive a nous le faire croire sans jamais surfer dans aucune des modes actuels (pas de boom bap, pas d’auto tune, pas de beat house) et proposer un album a la hauteur des attentes pourtant monumentale après tant de teasing et de mystère. Un album pour unir tous les fans de Freddie Gibbs et en convertir bien d’autres à la cause. Serait-ce enfin l’heure d’une reconnaissance bien moins confidentielle et l’accès au monde de la pop? Si c’est le cas, il y sera arrivé sans faire aucun compromis et rien que pour cela il aura gagné l’admiration de toutes et de tous.