Selon David Stubbs, auteur de Fear of music, l’un des facteurs derrière l’obsession du jazz pour le renouveau et la progression vient du besoin pour des musiciens noirs de regarder vers le futur plutôt que de tenter de recréer un passé vers lequel on trouve pas ou peu de réconfort. Ce besoin de rejeter le passé et d’aller de l’avant, le Wu-Tang Clan l’avait abordé dans Can it be all so simple (« Everybody talks about the good old days? Well, let’s talk about the good old days« ), se projetant eux-même dans le futur avec une approche révolutionnaire de la production et du collectif, et Ornette Coleman en avait fait le titre d’un de ses albums, The Shape of Jazz to Come. Une note d’intention assez prétentieuse tant il annonce aux autres qui est le futur du jazz, comme si les autres ne cherchaient pas non plus à l’écrire à leur manière.

Obsédé par le futur, Irreversible Entanglement l’est tout autant que ce soit dans les thématiques des paroles de Moor Mother, dont la voix se veut neanmoins moins présente par rapport à Open the gates, que dans leur musique. On trouve cependant a l’horizon décrit par le groupe autant un parfum de célébration (Protect your light et sa rythmique caribenne), de recueillement (Degrees of freedom, Sunshine) que de protestation (Our land back) plus varié et pas moins libéré que celui décrit en 1959 par Ornette Coleman.

Protect the light porte ainsi l’auditeur/trice vers des horizons capable de saisir autant un avenir plus chaleureux que le chaos et la destruction actuel. Les musiciens sont ainsi capables de batir leurs mélodies jusqu’au firmament que de les laisser s’effondrer dans une glorieuse cacophonie. Une manière plus ou moins explicite de traduire les thématiques de titres qu’il n’est pas necessaire en revanche d’expliquer tant l’actualité regorge d’exemple concret associés a des mots simples tels que root <=> branch, Protect your light, Degrees of freedom ou Our land back.

« Who knows what happened in South Carolina? in New York, in Palestine, in Iran? […} Who holds our stories? Who takes our land? »(extrait de Our land back).

Le futur d’Irreversible Entanglement est un futur de révolution musicale et de réinvention où le passé du free jazz rencontre une vision aux préoccupations internationales. Le Dr Thomas Stanley, invité ici à l’écriture des notes dans le livret du disque, l’avait déja abordé en conclusion de l’album Jazz codes de Moor Mother dans son discours sur la nature même du mot jazz et sa nature intrinsequement collaborative. Irreversible Entanglement donne vie à ce concept avec un disque fait de rencontre, de conversations entre instruments, mais par dessus tout, un disque vivant, car le son du jazz de demain c’est peut-être celui que l’on continue de jouer pour prouver au monde notre envie d’exister et de résister.